Aurélia Mouzet, “Imaginaires de la forêt sacrée et esthétique de l’interconnexion” – 12/05/2023

Intervention d’Aurélia Mouzet (University of Arizona). Le vendredi 12 mai 2023 de 15h à 17h en salle F007, Bibliothèque de Thalim, en Sorbonne)

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Afin de répondre à l’appel de nombreux travaux récents, qui nous invitent à repenser la terre et nos relations au vivant dans un monde aux prises avec les bouleversements climatiques, je vous propose de réfléchir au rôle joué par les littératures africaines dans ce que Souleymane Bachir Diagne a appelé, à la suite de Pierre Teilhard de Chardin, l’« humanisation » de la terre, processus qui participe d’une « politique de la dignité […] qui dit qu’il faut que nous fassions humanité ensemble pour ensemble habiter la terre[1] ». L’imaginaire des arbres et forêts sacrés, tel qu’il se déploie dans The Famished Road (1991) de Ben Okri et En compagnie des hommes (2017) de Véronique Tadjo, loin d’illustrer une vision passéiste de l’Afrique animiste, y reflète des préoccupations environnementales contemporaines. En puisant dans l’imaginaire animiste, Okri et Tadjo confèrent aux autres qu’humains un rôle agentif, nous dévoilent Comment pensent les forêts, pour reprendre le titre d’Eduardo Kohn, et ouvrent ainsi les voi(x)es possibles d’un monde en commun pour demain. Ces écopoétiques révèlent l’interconnexion des êtres et nous entraînent par-delà nature et culture, pour parler comme Philippe Descola.

Face aux bouleversements climatiques et environnementaux, saisir les liens qui nous unissent à la terre est indispensable et cela implique que nous ouvrions notre âme à l’entrelacement de nos destinées communes. La littérature, l’écopoétique et l’écocritique constituent les armes possibles de ce combat qu’il nous faut mener contre nous-mêmes pour qu’un avenir soit possible demain. À la lumière des travaux de Cajetan Iheka, Baptiste Morizot et Souleymane Bachir Diagne, je vous propose de « faire humanité ensemble » et d’analyser les romans d’Okri et de Tadjo au prisme d’une esthétique de l’interconnexion, qui se manifeste dans les œuvres en trois dimensions : culturelle, écologique et philosophique. Nous verrons dans un premier temps que l’interconnexion entre les humains, la forêt et les êtres qui la composent s’inscrit au cœur d’une pensée animiste qui abolit la frontière entre nature et culture. Connectées à leur territoire par des croyances et des pratiques culturelles, les  communautés des romans le sont aussi au plan écologique. Nourricière et protectrice, la forêt est un élément indispensable à la (sur)vie des humains, qui font partie intégrante de son écosystème. Mais elle est aussi, en conséquence de la déforestation, potentiellement destructrice. Sous la plume des auteurs, la nature a beau être exploitée et menacée de destruction, elle n’en est pas pour autant dénuée d’agentivité. L’écriture met en lumière la sensibilité des existants et en appelle à notre humanité afin que l’attention au vivant remplace enfin la prédation. Je tiens à préciser que cette recherche en est encore au stade embryonnaire et bénéficiera, j’en suis sûre, de la conversation que nous aurons ensemble par la suite.

En préparation de notre séance, je vous invite à lire les extraits de l’ouvrage de Baptiste Morizot, Raviver les braises du vivant (2020), le texte de Souleymane Bachir Diagne « Faire humanité ensemble » ainsi que les pages 22-26 et 44-50 de « African Literature and the Aesthetic of Proximity » de Cajetan Iheka.  


[1] Souleymane Bachir Diagne, « Faire humanité ensemble et ensemble habiter la terre », Présence africaine, n°193, « Les politiques de la dignité », 2016, p. 12.