Atelier Camouflage

Cherchant à « convoquer les différents peuples de la nature » dans Face à Gaïa, Bruno Latour invite à prendre en compte la recomposition des forces du système-Terre. Il écrit dans la cinquième conférence qu’il faut « se préparer à REDISTRIBUER de fond en comble nos capacités de mobilisation aussi bien que la définition des lignes de front et des forces en présence ». C’est à une telle géopolitique terrestre que le camouflage nous invite.

Parmi les techniques de combat, le camouflage a la particularité d’exacerber l’attachement au lieu. Se fondre dans le décor pour résister aux agressions est une pratique dont nous voudrions montrer l’efficacité à la fois stratégique et poétique. Le camouflage est une obfuscation par enfouissement susceptible de brouiller les appareils de contrôle du territoire : il s’agit de se dissimuler par le lieu. Il s’agit moins de fuir que de lutter courageusement contre un état du monde dangereux, « sans chercher à lui échapper mais en le combattant comme tel» (Stiegler). En faisant corps avec le terrain, le/la camouflé·e entre en négociation avec une multitude d’acteurs locaux dont il emprunte les modes d’habiter et parfois même les armes défensives.

Un camouflage efficace suppose une connaissance des lieux qui excède le simple repérage, mais suppose la mise en place d’un dialogue dont nous interrogerons les implications sémiotiques. Loin de renoncer au langage, le/la camouflé·e fait un usage iconique du signe à l’instar du phasme, cet « insecte amazonien au camouflage cryptique », dont parle Eduardo Kohn à propos de la sémiose forestière. Les phasmes échappent à leurs prédateurs potentiels en gommant toute différence avec les brindilles qui les entourent et manifestent ainsi une propriété cruciale de l’iconicité qui « implique de ne pas opérer de distinction entre deux choses ». Nous proposons dans ce panel de présenter des « textes-phasmes », qui se servent du langage pour se fondre dans le milieu et tirent de cette indistinction une énergie combative. 

Enfin, le camouflage, par le changement de perspective qu’il entraîne, participe de la reconfiguration du monde. Emprunter les habitats d’« espèces compagnes » (Donna Haraway), apprendre à voir le monde de l’intérieur des lieux n’est pas étranger à la « matrigenèse » dont parle Malcom Ferdinand dans son livre en faveur d’une écologie décoloniale. En apprenant à voir le monde tel qu’il se présente au regard des bêtes des marais, des forêts ou des monts, le camouflage offre bien des occasions de vivre et de penser les pieds dans la terre.

Notre réflexion collective s’appuiera sur l’analyse des textes suivants : Patrick Chamoiseau, L’esclave vieil homme et le molosse ; Suzanne Césaire, « Le grand camouflage » ; Yves Citton, Faire avec. Les liens qui libèrent ; Raphaël Confiant, Nègre marron ; Alain Damasio, Les Furtifs ; Vinciane Despret, Autobiographie d’un poulpe ; Sony Labou Tansi, La Vie et demie;Dieudonné Niangouna, Les inepsies volantes; Robert Louis Stevenson, Les porteurs de lanterne; Jules Verne, Vingt mille lieues sous les mers et La maison à vapeur.